Introduction
L’azote et le phosphore sont des éléments essentiels pour obtenir un bon rendement dans l’agriculture conventionnelle. Toutefois, l’utilisation de ces éléments affecte fortement les écosystèmes. Découvrez dans cet article les mécanismes qui aboutissent à ces impacts, les limites planétaires de l’azote et du phosphore et des solutions pour remédier à ces problèmes.
Ces informations sont majoritairement issues du rapport “Limites planétaires - Comprendre (et éviter) les menaces environnementales de l’anthropocène”, par Aurélien Boutaud et Natacha Gondran.
Limites planétaires
Ces 9 limites “biophysiques” peuvent être caractérisées par des valeurs limites à ne pas dépasser afin de maintenir des conditions viables pour l’espèce humaine sur Terre. Sur le graphique ci-dessous, nous pouvons voir que les limites planétaires pour les cycles de l’azote et du phosphore sont largement dépassées.
L’état actuel des variables de contrôle pour sept des neuf frontières planétaires (adapté de steffen et al., 2015)
Cycle de l'azote
L’azote est un élément chimique très abondant dans l’atmosphère, dont il représente environ 78% de sa composition, sous la forme stable de diazote (N2). De plus, l’azote joue un rôle majeur dans la biosphère, car il est essentiel pour la croissance des végétaux.
Néanmoins, l’azote présent dans l’air (‘normal’) est difficilement assimilable tel quel par le vivant. Pour qu’il le devienne, il doit être transformé en ammonium ou en nitrates, forme sous laquelle, les végétaux peuvent l’assimiler via leurs systèmes racinaires.
Dans la nature, cette transformation se fait majoritairement grâce à des bactéries “nitrifiantes”, qui transforment l’azote atmosphérique en nitrates ou en ammonium. Ces bactéries sont présentes dans l’eau et le sol, en particulier dans les racines de certaines plantes telles les légumineuses.
Une fois assimilé par les plantes, l’azote va traverser l’ensemble de la chaîne alimentaire, dont il sortira à travers les urines, les matières fécales des animaux (y compris nous !) et la décomposition de tous les organismes végétaux ou animaux.
Pourquoi parle-t-on d’une perturbation du cycle d’azote ? Car des processus de fabrication artificiel d’azote réactif - assimilable directement par les plantes- ont été mis en place afin d’augmenter les rendements agricoles. Cet azote artificiel réactif est un des 3 éléments principaux de la composition des engrais chimiques. Leur usage de plus en plus intensif augmente significativement la quantité d’azote réactif contenue dans la biosphère (ensemble des écosystèmes présents sur la planète). Aujourd’hui, les activités humaines produisent davantage d’azote réactif que tous les processus naturels.
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Cycle_de_l%27azote
Alors quel est le problème d’avoir autant d’azote présent dans la biosphère ? Une majorité de l’azote réactif qui est injecté dans la biosphère par l’activité humaine n’est pas absorbée par les plantes. Les bactéries dénitrifiantes, qui ont la capacité de transformer l’azote réactif en azote “normal”, ont une capacité limitée pour faire cette conversion. Ainsi, l’azote qui n’a pas pu être transformé migre sous différentes formes dans les sols, dans les nappes phréatiques, dans les aquifères ou même dans l’atmosphère.
La présence de cet azote dans ces milieux peut provoquer des effets indésirables, comme par exemple :
Pollution des nappes phréatiques : à partir d’une certaine quantité, la présence de nitrates rend l’eau impropre à la consommation
Eutrophisation des écosystèmes aquatiques : un surplus d’azote dans l’écosystème aquatique provoque une croissance de la végétation (algues, plantes), consommant une quantité croissante d’oxygène pouvant aboutir à l’asphyxie de l’écosystème.
Accroissement des émissions d’oxydes d’azote : le surplus d’azote entraîne une activité plus intense des bactéries dénitrifiantes, ce qui provoque un relargage accru dans l’atmosphère de protoxyde d’azote, gaz à effet de serre dont le potentiel de réchauffement global est 300 fois supérieur à celui du CO₂.
Quelle est la limite planétaire ?
La limite planétaire est calculée sur la base de la quantité d’azote réactif généré par les humains tout au long d’une année à l’échelle planétaire.
Les humains fixent l’azote de quatre manières :
par process industriel (principalement la fabrication d’engrais)
par les légumineuses cultivées
par la combustion des énergies fossiles
par la combustion de la biomasse
L’unité de l’indicateur est en Tg N/an (terragrammes d’azote par an).
À l’échelle planétaire, une limite de 62 Tg N/an a été identifiée. Cette limite est indicative et chaque écosystème a une vulnérabilité différente liée à l’azote. Ainsi, cette limite est une valeur cible concernant le risque d’eutrophisation des écosystèmes aquatiques. Cette limite correspond donc à la quantité maximale estimée comme pouvant être absorbé par la biosphère sans dégrader irrémédiablement la qualité des écosystèmes concernés.
La valeur actuelle ? 150 Tg N/an
La répartition en fonction des différents processus est la suivante :
80 Tg N/an pour la fabrication industrielle d’azote réactif, sous forme essentiellement d’engrais
40 Tg N/an pour la culture de légumineuse
20 Tg N/an pour la combustion des énergies fossiles
10 Tg N/an pour la combustion de la biomasse
Quelles solutions ?
On voit que la limite planétaire est largement dépassée pour le cycle de l’azote. Que peut-on donc faire ? Voici quelques propositions de mesures :
→ Généraliser le traitement des eaux usées (cela permet de retirer un maximum d'azote et de phosphore des eaux rejetées dans l'environnement)
→ Valoriser les déjections humaines dans l’agriculture est également une piste encore peu explorée en Europe mais pratiquée ailleurs (pour limiter l'utilisation d'engrais synthétique)
→ Continuer à améliorer les procédés émetteurs d’oxydes d’azote (baisse de la consommation énergétique, amélioration des technologies énergétiques)
→ Améliorer les pratiques agricoles (équilibrer la fertilisation des sols, rotation de cultures, polyculture)
→ Modifier les comportements alimentaires (moins de viande et de produits laitiers, afin de diminuer la quantité nécessaire d'engrais)
Cycle du phosphore
Le phosphore est un élément nutritif indispensable aux animaux et aux végétaux. C’est un élément qui est rare dans l’environnement naturel, présent en très faible quantité dans les roches terrestres. Le phosphore est surtout présent dans les roches sédimentaires et volcaniques, la matière morte et les rejets des animaux.
Quel est le problème ?
Le phosphore issu de l’industrie minière est utilisé pour produire des engrais (principalement), mais aussi des détergents, ce qui a perturbé le cycle naturel du phosphore, notamment dans le Lac Léman.
L’utilisation du phosphore dans les engrais n’est pas efficace puisque 20% du phosphore miné se retrouve dans notre alimentation, le reste, soit 80%, qui est utilisé comme engrais se retrouve dans l’environnement.
Quelles perturbations des écosystèmes ?
Le surplus de phosphore implique une eutrophisation des écosystèmes : dégradation de la qualité de l’eau, envasement, prolifération d’algues bleues et d’algues vertes, modification de la biodiversité, disparition de l’oxygène dans les plans d’eau, disparition de nombreuses espèces.
En fin de chaîne, le phosphore est rejeté dans les océans, où il entraîne une diminution de l’oxygène dissous. Des zones aquatiques localisées peuvent donc devenir anoxiques (privées d’oxygène). La généralisation de ce phénomène pourrait entraîner un événement anoxique océanique, générant des eaux toxiques et sulfidiques, et détruisant une part importante de la vie océanique. Des événements anoxiques océaniques sont survenus naturellement de manière régulière dans l’histoire de la terre. Or, les tendances actuelles laissent penser qu’un prochain événement pourrait à nouveau arriver, mais cette fois à cause des activités humaines.
Distribution des zones mortes (cercles rouges) en 2008. Les points noirs indiquent les zones mortes océaniques de taille inconnue.
Rareté de la ressource
Contrairement à l’azote, le phosphore utilisé par les humains est issu de gisements minéraux non renouvelables et rares. Les réserves terrestres commencent à s’épuiser.
Quelle est la limite planétaire ?
Le calcul de la limite planétaire est réalisé sur la base de la quantité de phosphore déversée dans l’environnement par les activités humaines, en Téragrammes de phosphore par an : Tg P/an
La limite planétaire estimée est de 11 TgP/an pour les océans et à 6.2 TgP/an pour les systèmes d’eau douce.
Il s’agit donc de la quantité maximale que les océans, respectivement des systèmes d’eau douces, seraient capables de supporter si cette quantité était répartie uniformément sur ces biotopes.
Quelle est la valeur actuelle ?
Actuellement, 22 TgP/an sont déversés dans les océans.
De plus, les engrais épandus sur les sols érodables génèrent environ 14.2 TgP/an dans les systèmes d’eau douce.
Ainsi, les limites planétaires sont largement dépassées pour le cycle de l’azote.
Pourquoi une telle quantité est-elle utilisée ?
Ce composant n’est pas utilisé par simple envie des agriculteurs, il s’agit également d’un problème structurel où l’on s’attend désormais à des rendements très élevés sur des surfaces toujours plus restreintes. Ainsi, l’utilisation de ce type d’engrais est encouragée par nos modes de consommations et surtout de rémunération du milieu agricole. Une revalorisation du prix des aliments permettrait de pouvoir diminuer légèrement la production par hectare pour qu’une plus faible récolte (dû à la diminution d’intrant) soit tout autant rémunératrice.
Que faire ?
L’agriculture est responsable de la majeure partie des déversements de phosphore. Ainsi, des mesures dans ce domaine peuvent être prises, telles que :
Favoriser la polyculture (combinaison entre productions animales et végétales)
Favoriser l’agriculture biologique
Revaloriser les déjections animales comme engrais
Réduire l’érosion des sols
Maintenir la qualité des sols
Mieux doser la quantité d’engrais afin de correspondre aux besoins réels du sol
Améliorer l’absorption du phosphore par les plantes en choisissant des cultures adaptées et en favorisant les associations symbiotiques entre les plantes (compagnonnage)
En outre, s’il est nécessaire de produire différemment, il est aussi nécessaire de modifier nos comportements :
Réduire notre consommation de protéines animales
Réduire les pertes le long de la chaîne d’approvisionnement
Améliorer le traitement des eaux usées
De plus, le cycle du phosphore pourrait être “clôs”, grâce à l'utilisation des déjections animales (humaines comprises) et du compost afin d’éviter une perte dans la nature.
Résumé
Finalement, nous pouvons résumer la situation de la manière suivante :
Voici deux exemples qui illustrent les conséquences du bouleversement de ces cycles :
Quand l’élevage intensif animal breton génère un tsunami toxique d’algues vertes : https://reporterre.net/Algues-vertes-en-Bretagne-4-points-pour-comprendre-le-probleme
Quand la lessive eutrophise le lac Léman : https://www.cipel.org/themes/phosphore/
Conclusion
L’azote et le phosphore sont deux principaux composants des engrais et leurs cycles sont donc intimement liés. Les deux éléments sont massivement utilisés dans le secteur agricole, rejetant ainsi une très grande quantité dans l’environnement et provoquant l’eutrophisation des milieux aquatiques, mais aussi une pollution des nappes phréatiques et le rejet de protoxyde d’azote, favorisant le changement climatique.
Pour ces deux cycles, dont les limites planétaires sont largement dépassées, il est nécessaire de prendre des mesures fortes pour limiter l’eutrophisation des écosystèmes aquatiques et pour retrouver un cycle équilibré. Ainsi, des mesures agricoles et de consommation pourraient être mises en œuvre et accompagnées.
Bibliographie
Limites planétaires - Comprendre (et éviter) les menaces environnementales de l’anthropocène, Aurélien Boutaud et Natacha Gondran (Veille prospective DPDP), Mai 2019, Grand Lyon la métropole.